Appel à communication
- cerremen0518
- 25 mai 2020
- 11 min de lecture
Colloque international sur la remémoration du massacre de 1937
Hommage à Suzy Castor

Thème : « Massacre de 1937, mémoire et identité dans le contexte de double absence : regard sur l’altérité et la représentation »
Date et lieu: 4-6 octobre 2020 Port-au-Prince (Haïti)
Le Centre de Réflexion et de Recherche sur la Migration et l’Environnement (CERREMEN) a été créé en août 2017 à Port-au-Prince. Cherchant à promouvoir des actions pour un meilleur avenir, ce centre s’est donné pour objectif de réfléchir sur les politiques publiques de la migration et de l’environnement, de les analyser et d’orienter leurs choix face aux grands enjeux nationaux, binationaux, régionaux et internationaux. Sa perspective est celle d’une évolution vers de politiques migratoires dignes et respectueuses des droits de la personne et d’une création d’un cadre environnemental agréable à tous les niveaux. À telle enseigne, CERREMEN mène une réflexion constructive sur les grandes questions susmentionnées fondée sur un modèle de transformation sociale. Ainsi, il s’est donné des chercheur-e-s et praticien-ne-s, pour la recherche, l'intervention, les publications et l'organisation de différents évènements scientifiques. Le prochain colloque du Centre aura lieu en Haïti du 4 au 6 octobre 2020, autour du thème : « Massacre de 1937, mémoire, identité et politique migratoire dans le contexte de double absence: regard sur l’altérité et la représentation ». Il analysera les conditions d’existence du sujet-migrant au regard de l’histoire, de la politique migratoire et des aléas culturels et sociaux quand il est confronté à un environnement difficile, en Haïti ou en terre étrangère, notamment en République Dominicaine. Il portera le regard sur le comment et le pourquoi du massacre de 1937 en vue d’étudier les rapports politiques, économiques, sociaux et culturels des deux peuples, des deux États partageant l’île d’Haïti avant, pendant et après cet évènement pour enfin projeter des perspectives visant à construire des relations plus harmonieuses entre les deux peuples.
Arguments
En octobre 1937, sous le régime dictatorial de Rafael Leonidas Trujillo Y Molina, a été perpétré en République Dominicaine, le massacre d’Haïtiens et d’Haïtiennes. Les statistiques estiment à environ 30,000 (Péan, 2014 : 245) le nombre d’Haïtien-ne-s qui ont perdu la vie, (excepté ceux et celles qui vivaient dans les bateys, parce qu’ils/elles étaient important-e-s à la production sucrière) au cours de ce carnage, y compris des Dominicain-e-s de teint foncé. À la suite de cet évènement horrible, le dictateur dominicain, en faisant l’apologie de la terreur, aurait déclaré : « J’ai jeté le gant à un peuple sans honneur et il ne l’a pas ramassé » (Wooding et Moseley-Williams, 2009).
D’un autre côté, Trujillo reconnait que l’aventure a été une exagération et croit que c’est un événement regrettable qui a été produit sur le territoire dominicain. Il affirma que : « C’est un incident vraiment lamentable et personne ne le regrette plus que moi. Par contre, il n’y a aucune raison pour qu’il y ait une action internationale. La question se réduit à ce problème simple : un voleur entre chez moi et je résous l’affaire selon mes propres lois et mes propres moyens de défense. Personne ne doit se mêler de ce qui ne le concerne pas » (Vega, 1988 : 374, cité par Sophie Maríñez).
L’historienne Suzy Castor attire l’attention sur le fait qu’il n’y a aucune évidence de l’explosion populaire quand elle confirme que : « Malgré toutes les précautions prises pour couvrir ces faits sous la version d’une "explosion populaire spontanée", il est évident que le massacre n’a pas été l’œuvre du peuple dominicain (Castor, 1987 : 29). Lauren Robyn Derby et Richard Turrits montrent que les deux populations coexistaient paisiblement à la veille du massacre (Derby et Turrits, 1993 : 65-76). Michiel Baud soutient l’argument selon lequel il n’y a jamais eu d’organisation dont le but ait été d’éliminer les Haïtien-ne-s sous une forme quelconque de violence (Baud, 1999 : 15).
Perçu comme un déni d’humanité, le génocide de 1937 est qualifié par certains chercheurs de crime d’État qui ne profitait qu’à Trujillo. Leslie Manigat, en ce sens, maintient l’idée selon laquelle « cette boucherie fut un acte d’État commis sur ordre par les militaires dominicains, non pas par de simples particuliers » (Manigat, 1997 : 9).
Ce pogrome a suscité moult controverses par des organismes de défense des droits humains à l’échelle internationale et par des intellectuels un peu partout et il a été condamné par la communauté internationale. Cependant, la République d’Haïti, dans son ensemble (l’État, la société, la nation et le peuple), continue d’endurer dans une certaine mesure les effets du massacre de 1937 qui a sûrement affecté le cours des relations haïtiano-dominicaines. Les immigrant-e-s haïtien-ne-s continuent de subir les conséquences du massacre dans tout son être vu certaines décisions politiques prises en République Dominicaine. Par contre, des Dominicain-e-s apparaissent être informé-e-s sur la Matanza, le peuple dominicain pour la plupart semble presque livré dans l’ignorance au point que les risques pour réitérer la cruauté sont quasiment présents.
Par conséquent, la remémoration de cet événement dans la vie des deux peuples est plus qu’une nécessité. Vu les conséquences du massacre de 1937, les conditions de vie du migrant ou de la migrante haïtien-ne sur le territoire dominicain reste toujours un défi. En ce sens, on se demande comment la personne migrante perçoit-elle son évolution dans le contexte particulier face à la grande hostilité politique et sociale ? Comment s’est présentée la situation immédiate au massacre et se présente encore la situation actuelle des migrant-e-s haïtien-ne-s en République Dominicaine par rapport aux éventuelles hostilités sous-jacentes ou manifestes? Comment sont-ils/elles affectés-es par un tel acte ? Quelles sont les mesures à prendre par les deux États pour construire des relations plus harmonieuses entre les deux nations afin d’éviter la répétition de tel acte à l’avenir? Dans quelle mesure le sujet-migrant retient-il l’attention des autorités des deux pays du point de vue politique? Les États des deux pays ne sont-ils pas responsables de travailler conjointement en vue de transformer les conditions sociales du migrant ou de la migrante?
Ce colloque analyse, dans leur complexité, les obstacles à la construction de l’identité et de la politique développée à l’égard du migrant ou de la migrante dans le contexte de la double absence (Sayad, 2009), de la double insularité (Théodat, 2003) et les rapports politiques, économiques, sociaux et culturels des deux pays avant, pendant et après le massacre. Ainsi, quatre axes d’étude sont envisagés.
Axe 1. Altérité et identité. Hostilité de la société d’accueil avant, pendant et après le massacre de 1937 à l’égard du sujet-migrant
La notion d’identité constitue l’une des problématiques majeures des débats idéologiques et politiques. Elle désigne par conséquent une entité qui distingue et rapproche une séparation socioculturelle mise en relation soit par opposition, affinité ou par coexistence du point de vue individuelle ou collective (Martens, 2019). L’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie, l’histoire, la psychanalyse, la linguistique, la philosophie ou l’économie aborde et s’interroge sur la notion d’identité de façon imbriquée et différente à la fois, ce qui en fait un concept carrefour. Perçue par plus d’un comme un construit social, l’identité consiste en une réalité relationnelle qui admet une dynamique d’identification de façon particulière. La notion d’identité est cruciale dans toute réflexion sur l’être humain et ses pratiques quotidiennes dans la société (qu’il s’agisse de natif ou de migrant). Ainsi, Taylor montre que « l’identité résulte alors de la reconnaissance réciproque du moi et de l’autre, elle naît d’un processus conflictuel où se construisent des interactions individuelles, des pratiques sociales objectives et subjectives » (Taylor cité par Baudry et Juchs, 2007). Comment penser le rapport au sujet-migrant dans un espace difficile et hostile? À quelles conditions est-il important de comprendre les difficultés d’intégration que confronte le sujet-migrant dans une société qui l’exclut sur la base du racisme, de la xénophobie, de la négrophobie ou de ses conditions précaires? Il s’agit ici d’analyser les formes que revêtent l’hostilité et les différentes actions néfastes à l’encontre de l’autre dans des contextes de précarité, afin de comprendre ce qui est, à la fois du point de vue politique et social, le rapport de la société d’accueil aux migrant-e-s.
Axe 2. Politique migratoire et conditions d’existence dans le contexte des relations haïtiano-dominicaines
Haïti, comme beaucoup d’autres pays, a besoin de mettre en place sa propre politique migratoire. Celle-ci est traditionnellement ancrée dans des préoccupations politiques et sociales du fait migratoire. Cependant, Haïti, pays limitrophe à la République Dominicaine, connait une situation spéciale face à la problématique de la migration, peine encore à développer des relations binationales plus constructives vice-versa. La crise migratoire haïtienne devenue dans une certaine mesure une crise politique, reste dans l’actualité et nourrit des discours et des réflexions contradictoires. Pourtant, on est loin de parler d’une politique migratoire haïtienne. La politique migratoire dominicaine -aussi problématique qu’elle puisse apparaître- ne cesse d’affecter les migrant-e-s et influencer les politiques nationales, sans pour autant arriver à offrir un cadre adéquat. Les orientations présentées n’engendrent pas une réponse durable aux différents défis de la migration. Le phénomène migratoire, pour le penser de manière durable, doit être étudié dans ses causes profondes. Les actrices et acteurs ont pour obligation de mettre en place des politiques migratoires pour aboutir à des solutions respectueuses des droits et de la dignité humaine de part et d’autre. Dans leurs actions, ils et elles doivent créer quelque chose de nouveau relatif à la construction d’une meilleure politique migratoire pour le bien-être du ou de la migrant-e. Ils et elles devraient analyser des nouvelles formes de l’expérience humaine dans la migration en lien à la politique ou aux décisions politiques. D’autant plus que les rapports sociaux, politiques, économiques et culturels entre Haïti et la République Dominicaine et leur expression concrète dans le vécu des individus et de leur situation de vulnérabilité dans le contexte de la migration demeurent problématiques. Les personnes migrantes constituent une main-d’œuvre bon marché pour les entreprises dominicaines. Guy Alexandre montre que la main-d’œuvre haïtienne a fortement contribué à la croissance économique et au processus du développement de la République Dominicaine (Alexandre, 2013 : 139). Toutefois, cette population vit pour la plupart en dehors du système de sécurité sociale (ENI, 2017). Elle est également parfois victime de son statut migratoire au point que les chefs d’entreprise s’arrangent pour que les autorités migratoires les expulsent du territoire dominicain avant même de toucher son salaire.
Ce qui revient à dire que réfléchir sur les transformations des individus dans des contextes de précarité, d’exclusion, de violence, de domination, de représailles ou de chasse à l’homme présuppose d’étudier de près les rapports des institutions politiques s’occupant de la migration. Quels rapports le sujet migrant développe-il avec la politique quand son environnement social n’est pas rassurant ? Comment les décisions politiques influent-elles la vie des migrant-e-s en République Dominicaine ? Cet axe envisage d’analyser surtout les différentes décisions politiques qui surgissent en République Dominicaine et qui ont des conséquences sur les conditions de vie des migrant-e-s. Il donne une attention particulière à l’imbrication des transformations individuelles, subjectives, économiques, sociales et politiques, réelles ou virtuelles, porteuses de nouvelles décisions. Dans cette perspective, cet axe consiste à faire discuter la sociologie politique en lien à d’autres disciplines ou à la sociologie de la migration.
Axe 3. Rapports entre les deux peuples, les deux États et les deux nations partageant l’île d’Haïti du point de vue culturel, social, politique et économique
Par le truchement de cet axe, il s’agit d’interroger les rapports des deux peuples, des deux nations et des deux États qui ont des pratiques, des habitus, des visions, des règles et des principes, des religions et des cultures différentes, mais qui vivent des situations qui laissent entrevoir qu’ils sont condamnés à vivre ensemble. Par le biais de la sociologie, de la science politique, de l’anthropologie, la psychologie, l’économie et l’histoire, les chercheur-e-s décrypteront ces rapports en projetant des perspectives relatives à la construction d’un avenir meilleur pour les deux pays.
Axe 4. Droits des migrant-e-s et équité de genre
Cet axe projette d’analyser les droits des migrant-e-s en terrain difficile au regard de la question de l’équité de genre, un champ presque vierge dans les études migratoires haïtiano-dominicaines. Il mettra au clair la production du savoir et des décisions politiques tenant compte ou pas du rapport entre l’équité de genre et les migrations internationales. En réalité, la science, traditionnellement a toujours abordée la migration comme un phénomène masculin. Les droits des femmes migrantes, leur expérience migratoire et leur spécificité comme catégorie sociale ont été la plupart du temps occultés et invisibilisés dans les analyses du fait migratoire. La migration des femmes, souligne Claude Zaidman (2000), a suscité très peu d’intérêt non seulement du côté de la science, mais aussi et surtout de l’analyse sociologique féministe classique. Cela a conduit à l’invisibilisation des femmes minorisées, notamment des femmes migrantes dans les discours académiques et politiques. Ainsi, aborder la question de l’équité de genre dans la migration des femmes haïtiennes vers l’étranger en particulier en République Dominicaine, consiste à questionner un phénomène à la fois nouveau et complexe qui vise à mettre au clair une réalité objective peu étudiée. Or, si de nos jours, le rapport genre et migration commence à devenir de plus en plus une préoccupation pour des chercheur-e-s qui en fait des analyses multiples alliant la sociologie, l’anthropologie, la science politique et les relations internationales, il serait judicieux, voire intéressant de réfléchir sur l’équité de genre dans la migration des femmes haïtiennes qui constituent un groupe minorisé.
Les femmes migrantes haïtiennes sont longtemps restées en marge des recherches sur les migrations à l’étranger, spécifiquement en République Dominicaine. Et, dans ce contexte, la sociologie des migrations néglige aussi bien l’analyse des rapports sociaux, politiques, économiques et ceux de pouvoir et dans une certaine mesure les décisions des États à l’égard des femmes dans le contexte migratoire. Comment peut-on analyser les situations de la femme haïtienne comme catégorie minoritaire dans le contexte de la migration en République Dominicaine ? Comment obtenir des transformations dans les rapports sociaux, politiques, économiques et culturels dans le contexte migratoire dans l’intérêt de la femme? Comment les décisions des États prennent-elles en considération l’équité de genre dans le contexte migratoire ? Dans quelle mesure les droits des femmes sont-ils respectés à la fois au pays de départ et au pays d’accueil ? Comment analyser l’apport des femmes migrantes dans le progrès de la société d’immigration ? Quel regard peut-on apporter sur les rapports sociaux de sexe et de pouvoir dans le contexte migratoire ? Comment les femmes ont-elles été touchées par le massacre de 1937 ?
Ce questionnement constitue des matériaux pouvant analyser un phénomène qui peine encore à être approfondi par les sciences sociales dans le déplacement des êtres humains, qu’ils soient de la société d’origine, en transit ou de destination.
Conditions de soumission
Les propositions pour des interventions tant sur le plan théorique, épistémologique que méthodologique, sont attendues pour le 20 mars 2020 au plus tard. Elles comportent les noms et prénoms des intéressé-e-s, leur affiliation, leur adresse courriel, le titre provisoire de leur communication, et un résumé de 3500 signes maximum. Elles seront envoyées à cette adresse : cerremen0518@gmail.com.
Deux comités sont créés pour l’organisation du colloque : un comité scientifique composé de : Léo D. Pizo Bien-Aimé, Jean Marie Théodat, Lunos Saint-Brave, Joseph Harold Pierre, Jobnel Pierre et Smith Augustin qui s’occupera de la conception et de l’organisation technique du colloque et un comité chargé d’organisation qui se consacrera de la gestion logistique de l’évènement. Ce dernier est constitué de : Micheline Brice, Martine Stéphanie Louis, Junior Célestin, des stagiaires et des bénévoles de CERREMEN.
Bibliographie
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